ASSE : Kilmer a peut-être choisi la rigueur

Publié le 4 juillet 2025 à 17:48

Ivan Gazidis, président exécutif de l'AS Saint-Étienne. 


Kilmer et l’ASSE : une relégation programmée pour mieux reconstruire ?

Lorsque l’AS Saint-Étienne a retrouvé la Ligue 1 à l’été 2024 après deux saisons passées à reconstruire en Ligue 2, l’espoir d’un retour durable au plus haut niveau s’est emparé du paysage sportif stéphanois.

Pourtant, à l’hiver suivant, le mercato de janvier 2025 fut d’une austérité presque déroutante. Pas de recrue d’envergure, pas de prêt salvateur, pas d’investissement soudain dans l’effectif. Dans un football habitué aux coups de poker de dernière minute pour sauver sa place en première division, cette inertie apparente pouvait interroger.

Était-ce un manque de moyens ? De vision ? Ou au contraire, un calcul froid, parfaitement assumé ?

À bien y regarder, la réponse se trouve sans doute dans la stratégie du nouveau propriétaire, Kilmer Sports Ventures, qui a préféré la prudence à l’instinct de survie à tout prix, quitte à laisser filer une saison en Ligue 1, quitte à accepter une relégation, mais, avec un cap clairement défini : assainir durablement.

la réalité financière de l’ASSE en 2025

La réalité financière du club forézien, à l’entrée de l’année 2025, n’était pas reluisante. Selon les documents financiers disponibles, la SASP AS Saint-Étienne affichait un déficit de 1,93 million d’euros à la fin de l’exercice clos en juin 2024. Et ce, malgré une hausse des revenus, qui atteignaient environ 19 millions d’euros grâce notamment au retour dans l’élite. L’équation est connue : plus de recettes, mais aussi plus de charges. La montée avait mécaniquement engendré une inflation des dépenses, entre les salaires réévalués, les primes de montée, les frais de fonctionnement accrus pour répondre aux standards de la L1, et les investissements nécessaires pour répondre aux exigences sportives et réglementaires de la DNCG. La conséquence immédiate fut une mise sous surveillance financière. Une alerte claire : pas question de replonger dans les errements du passé.

Kilmer a-t-il sauvé l’ASSE d’une descente aux enfers financière ?

Dans ce contexte, un mercato dispendieux, aussi salvateur qu’il aurait pu paraître sportivement, aurait été un pari extrêmement risqué. Acheter le maintien ?

L’idée a de quoi séduire les supporters comme les suiveurs. Mais elle n’est pas neuve, et son efficacité est plus qu’incertaine. Les exemples récents sont nombreux : Bordeaux, Angers, voire Saint-Étienne lui-même en 2022, ont tenté d’arracher leur place en L1 à coups de millions, souvent dans la précipitation. Mais l’issue fut la même : une relégation, suivie d’une descente aux enfers budgétaire. Car ces mercatos "paniques" entraînent des masses salariales intenables, des effectifs surchargés et coûteux, et un retour en L2 avec une structure financière surdimensionnée. Dans un championnat où les droits TV sont divisés par deux à la descente, les risques deviennent exponentiels. Les clubs se retrouvent piégés dans une spirale d’endettement, avec peu de marge de manœuvre pour rebondir. C’est précisément ce scénario que Kilmer a voulu éviter.

Pas de panique à Sainté : Kilmer savait ce qu’il faisait

Le groupe canadien, qui a pris les rênes de l’ASSE en 2023, n’est pas animé par des réflexes passionnels. Il agit comme un investisseur, avec une logique patrimoniale. Le raisonnement est simple : dépenser entre cinq et dix millions d’euros pour six mois incertains, dans une lutte pour le maintien toujours aléatoire, n’a aucun sens dans un modèle économique sain. Il vaut mieux reconstruire sur des bases solides, quitte à accepter une transition difficile. Kilmer ne cherche pas à impressionner ou à séduire dans l’immédiat. Son projet s’inscrit dans le long terme. Cette philosophie implique parfois des décisions impopulaires, mais potentiellement salvatrices. En ce sens, la relégation n’a pas été vécue comme un désastre, mais comme une possibilité stratégique.

Clauses, salaires, vision : le plan de bataille budgétaire des Verts en L2

Le raisonnement est contre-intuitif, mais il tient debout. Une descente en Ligue 2, si elle est anticipée et maîtrisée, peut offrir des leviers pour assainir en profondeur. D’abord, de nombreuses clauses de baisse de salaires sont activées automatiquement en cas de relégation. Ces clauses, prévues contractuellement, permettent de réduire considérablement la masse salariale sans entrer dans des négociations individuelles. Ensuite, certains contrats trop lourds ou peu compatibles avec la vision du nouveau projet peuvent être libérés ou non renouvelés. En réduisant les charges fixes, le club retrouve une forme de respiration budgétaire. De plus, la L2 offre un contexte de travail moins exposé, qui permet de bâtir à moyen terme, de faire éclore des jeunes, d’installer une méthode.

ASSE Groupe, ASSE Products, SASP : comprendre la structure financière des Verts

Cette logique, certes déstabilisante, s’est aussi appuyée sur un constat chiffré plus global. Si l’entité « ASSE Groupe » était légèrement bénéficiaire, et si la branche « ASSE Products » (liée aux produits dérivés et au merchandising) affichait elle aussi un résultat positif, la structure centrale, la SASP ASSE, restait structurellement déficitaire. C’est elle que la DNCG scrute, c’est elle qui conditionne la stabilité sportive. C’est donc à travers elle que les décisions financières majeures ont été prises. Et c’est elle qui devait être redressée, au prix d’une rigueur presque glaciale.

CONCLUSION 

En somme, Kilmer a choisi de ne pas jouer le pompier. Le propriétaire canadien a préféré construire une architecture financière solide, plutôt que de bricoler un maintien de courte vue. Son approche tranche avec les habitudes du football français, mais elle s’inscrit dans une vision d’investisseur aguerri. Il est encore trop tôt pour juger des résultats de cette stratégie. Mais une chose est sûre : l’AS Saint-Étienne n’a pas été abandonnée à son sort. Elle a simplement pris le parti d’affronter la tempête en préparant la suite, plutôt que de maquiller les fissures d’un édifice fragile.

Kilmer n’a jamais promis de miracles. Mais il semble convaincu d’une chose : pour reconstruire un club historique, il faut parfois accepter de tout reprendre à la base, quitte à souffrir, quitte à descendre mais pour mieux remonter et durer.


Pier Paolo Walack 

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